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Faut-il s'inquiéter de l'endettement des ménages?

Les Canadiens s'endettent davantage et plus facilement depuis 15 ans, mais la situation n'est pas catastrophique comme aux États-Unis, constate le professeur Mario Fortin

Les Canadiens s'endettent davantage depuis 15 ans, mais le Canada n'est pas exposé à une crise du crédit comme celle qui sévit aux États-Unis, selon le professeur Mario Fortin, du Département d'économique à la Faculté d'administration. Au Canada, la situation est davantage sous contrôle, même si l'accès au crédit est plus facile.
Les Canadiens s'endettent davantage depuis 15 ans, mais le Canada n'est pas exposé à une crise du crédit comme celle qui sévit aux États-Unis, selon le professeur Mario Fortin, du Département d'économique à la Faculté d'administration. Au Canada, la situation est davantage sous contrôle, même si l'accès au crédit est plus facile.
Photo : Michel Caron

9 octobre 2008

Robin Renaud

Alors que les États-Unis sont aux prises avec une crise financière majeure, le Canada semble mieux en mesure d'affronter la tempête. Chez nos voisins, la crise s'explique surtout par une détérioration marquée de la qualité du crédit, selon le professeur Mario Fortin, du Département d'économique à la Faculté d'administration. Au Canada, la situation est davantage sous contrôle, même si la population est de plus en plus endettée, et les pratiques de crédit changent.

États-Unis et Canada : le jour et la nuit

D'entrée de jeu, le professeur Fortin résume en termes simples ce qui est à l'origine de la crise américaine : «Aux États-Unis, on a vu proliférer des prêteurs hypothécaires qui n'étaient pas des banques de dépôt traditionnelles. Ces prêteurs demandaient peu ou pas de garanties aux emprunteurs. Bref, ils ont consenti des prêts à des gens qui selon les critères habituels ne se qualifiaient pas au crédit.» C'est ce qu'on a appelé le subprime.

Ces prêts de mauvaise qualité étaient plus tard regroupés en volume sous forme de titres négociables, titres qui ont été garantis par des compagnies d'assurance, puis refilés à d'autres institutions qui les achetaient. «Le problème initial, c'est que de 2005 à 2007, près de 25 % du nouveau financement hypothécaire accordé aux États-Unis reposait sur des pratiques douteuses, explique le professeur. Par exemple, plusieurs prêts étaient consentis sans vérification, sur la foi de formulaires bidon, obtenus à peu de frais sur Internet. Les emprunteurs, eux, comptaient sur la hausse du prix des maisons et espéraient revendre rapidement leur propriété à profit au bout d'un an ou deux. Le nombre de mauvaises créances a pris de l'ampleur, le prix des maisons a plongé et la situation est alors devenue hors de contrôle.»

Les Canadiens plus prudents?

La situation au Canada est demeurée plus stable, mais on constate malgré tout un desserrement des pratiques du crédit hypothécaire. On voit des prêts hypothécaires remboursables sur 40 ans, alors qu'auparavant, le maximum était plutôt de 25 ans. Les prêts assurés exigeaient une mise de fonds de 5 %. Aujourd'hui, on peut obtenir un prêt assuré sans mise de fonds. «Certains se questionnent sur ces nouvelles normes en usage chez nous, mais la situation n'a pas pris l'ampleur des abus commis ailleurs, dit Mario Fortin. On s'explique encore mal pour quelles raisons le Canada a pu éviter de tomber autant dans ces pratiques risquées. Il semble que cela ne repose pas uniquement sur le cadre réglementaire. On soupçonne que les Canadiens sont plus traditionnels dans la consommation de produits de crédit et qu'ils sont restés fidèles aux institutions bien établies, mieux outillées pour valider la qualité de leurs emprunteurs.»

Il faut noter qu'aux États-Unis, les banques de dépôt traditionnelles ont été relativement peu éclaboussées par les scandales. Celles qui avaient des obligations envers leurs épargnants se sont tenues relativement loin des pratiques trop risquées.

Plus facile de s'endetter

Malgré un desserrement des pratiques du crédit hypothécaire, la situation au Canada est demeurée plus stable. On soupçonne que les Canadiens sont plus traditionnels dans la consommation de produits de crédit, selon le professeur Mario Fortin.
Malgré un desserrement des pratiques du crédit hypothécaire, la situation au Canada est demeurée plus stable. On soupçonne que les Canadiens sont plus traditionnels dans la consommation de produits de crédit, selon le professeur Mario Fortin.
Photo : Michel Caron

La croissance de l'endettement est une réalité dans la plupart des pays industrialisés. Une étude comparative a d'ailleurs démontré que cette croissance ne se dément pas depuis plus de 15 ans en Grande-Bretagne, en Australie, aux États-Unis et au Canada. En termes économiques, Mario Fortin explique que cette croissance de l'endettement des ménages repose sur la conjonction de trois facteurs. Le 1er concerne la hausse des prix de l'immobilier; le 2e concerne les bas taux d'intérêt; et le 3e repose sur l'augmentation des revenus disponibles.

Et au Canada comme ailleurs, il est de plus en plus facile d'obtenir des produits de crédit. Grâce aux banques de données électroniques, la vérification de la solvabilité des emprunteurs est grandement simplifiée. Les consommateurs peuvent obtenir pratiquement sur-le-champ du crédit pour des montants allant jusqu'à 25 000 $. «Les institutions prêteuses fonctionnent maintenant avec la loi des grands nombres, explique le professeur Fortin. Elles savent qu'un certain nombre d'emprunteurs va faillir, mais que la très grande majorité va honorer sa créance. Au final, plus de gens font faillite parce que plus de gens ont accès au crédit.»

Malgré les idées reçues, la qualité des prêts bancaires n'a jamais été aussi bonne au Canada que pendant les années récentes, car en dépit du nombre d'emprunts hypothécaires à la hausse, le taux de défaillance est très bas. Mais cet endettement croissant représente-t-il une menace? La question mérite une réponse nuancée, selon le professeur Fortin : «La situation financière d'un individu davantage endetté devient plus risquée si la valeur de son actif baisse trop ou si les taux d'intérêt augmentent. Il est clair par ailleurs qu'une récession ne serait pas sans conséquence. Cela dit, il est difficile de prouver qu'un endettement plus élevé comporte davantage de risques quand les taux d'intérêt sont bas. Car des faibles taux ont moins tendance à bouger. Dans les conditions actuelles, une hausse importante des taux d'intérêt est peu probable.»

Malgré les questions soulevées par certaines pratiques nouvelles, Mario Fortin croit que la société tire des bénéfices d'un meilleur accès au crédit. «Faut-il refuser l'accès au crédit à tous pour éviter que quelques individus soient acculés à la faillite? Il est bien embêtant de déterminer jusqu'où l'accès au crédit doit aller, mais les gens sont-ils moins heureux qu'à l'époque où ils devaient se priver toute leur vie d'acheter une maison? On peut en douter, car un meilleur accès à la propriété permet globalement aux gens d'être beaucoup mieux logés qu'à l'époque où ils devaient demeurer locataires», dit Mario Fortin.

Cela dit, la protection des consommateurs dans un contexte d'endettement facile constitue un défi important. L'Organisation de coopération et de développement économique a d'ailleurs un programme sur l'éducation financière auquel Mario Fortin a participé dernièrement avec le professeur Jacques Préfontaine, du Département de finance.